Frédéric Weis : “Je n’avais jamais fait ça de ma vie”


-- - 08/02/2024

C’était un jour un peu improbable pour être appelé. Un dimanche je crois. J’étais chez moi, je reçois un coup de téléphone.

Un numéro que je ne connais pas. Une jeune femme : “Bonsoir monsieur. Alors voilà, on cherche quelqu’un de votre profil physique, parce qu’on veut quelqu’un de grand, pour un film, est-ce que, déjà, cela pourrait vous intéresser ?”. Elle m’explique, sans entrer dans les détails, que c’est un film sur l’Abbé Pierre, avec Emmanuelle Bercot, Benjamin Lavernhe.

Je précise que je mesure 2m17, je suis un ancien basketteur. Ils cherchaient un homme pour jouer l’un des compagnons de l’Abbé Pierre : “Jules”, qui était un peu son “garde du corps”. Sachant que Benjamin Lavernhe, l’Abbé Pierre dans le film, mesure presque 1m90.

Frédéric Weis, international français (100 sélections), vice-champion olympique à Sydney en 2000.

Il faut s’imaginer, on est dimanche soir, je suis chez moi à Limoges, quelqu’un m’appelle pour me dire ça (sourires). Sur le moment, je ne sais pas quoi répondre. Je réfléchis deux secondes, et dis : “Oui, ça m’intéresse. Mais comment est-ce qu’on peut procéder ?”. Elle répond : “On peut vous proposer un casting dans 2 jours”. Moi : “Oui, ok, pas de problème”. Elle :  “Quel est votre mail svp ?”, pour m’envoyer les scènes à répéter.

Deux jours plus tard, j’ai rendez-vous à 11h. A Paris, pour un truc que je n’ai jamais fait de ma vie. 

J’avais lu plusieurs fois les scènes. Je les lisais plein de fois pendant la journée. J’essayais de faire comme à l’école, quand j’apprenais une récitation. Au bout d’un moment,  je me suis dit : “de toute façon on verra bien et au pire si j’ai un trou, ils me souffleront le texte”, ce qui a été le cas. Donc j’arrive là-bas, la jeune femme que j’ai eue au téléphone, qui est l’assistante du directeur de casting, m’accueille. Vraiment gentille.

Nous étions dans une sorte de grand hangar, immense. Pour commencer, j’ai une scène où je devais insulter, assez durement, une femme. J’avoue que, même pour “de faux”, j’ai eu du mal.

Autre scène, je perds mon bébé, qui meurt à cause du froid. Je dois le prendre dans mes bras, ils m’avaient donné une sorte de coussin pour faire office de bébé. A jouer, c’est assez intense et à la fin, j’étais épuisé. C’est beaucoup d’émotions différentes à sortir. L’assistante du directeur de casting : “C’est bien, franchement félicitations c’est cool”. Je ne sais pas si c’était bien ou pas, mais en tout cas elle m’encourageait beaucoup. Et ça m’a aidé.

J’allais partir, pour moi la journée était terminée. Sauf que, le directeur de casting, qui était à Bordeaux, voulait me voir jouer. Il me demande de refaire les 3 scènes (de joie, de tristesse, et d’insultes) en visio. Intérieurement, je me disais : “Non mais ça va jamais finir ce truc” (sourires). J’ai dû tout rejouer, avec le directeur de casting qui me regardait sur son ordinateur, chez lui.

A la fin, il me dit : “On te rappellera”, la classique (sourires). Pour moi, qui n’avais jamais fait de cinéma, c’était un peu la phrase bateau qui signifie qu’on ne te rappellera jamais. Je partais du principe que c’était logique car je ne pouvais pas avoir le niveau. J’avais tout donné, j’étais content.

Quelques jours plus tard, ils me rappellent pour me dire que le réalisateur (Frédéric Tellier) souhaite me rencontrer. 

J’ai rendez-vous à Paris. J’arrive, je discute avec les gars un petit peu à l’entrée des bureaux. On me dit : “Fred Tellier va te recevoir”. Dans cette pièce, il y avait au mur, beaucoup de photos collées, dessinant son “schéma” de film. Il me dit : “Regarde un petit peu, ça t’intéresse, ça te plait ?” Il ne me connaissait pas du tout. C’est un homme profondément humain, c’est ce qui m’a d’abord marqué. Après l’Affaire SK1, Goliath, Sauver ou Périr, il préparait son 4è film.

A la fin il me dit : “Bon Fred, j’ai été ravi de te rencontrer. On se voit sur le tournage”, je vais pour partir, avant que le directeur de casting ne me rattrape : “Attends Fred, en fait j’ai d’autres personnes à voir, donc j’attends la semaine prochaine pour te dire, ok ? Je ne te dis pas que c’est non, mais je voulais que tu saches que ce n’est pas oui non plus”. Merci pour l’ascenseur émotionnel (sourires).

Comme convenu, il me rappelle pile le jour et l’heure qu’il m’avait indiqués. C’était un vendredi : “Allô Fred ? Benh, c’est toi qui est choisi. Le chargé à la production des contrats va t’appeler, pour te dire comment ça se passe, etc”.

Il m’informe que je vais avoir minimum 11 jours de tournage, peut-être 13.  “Et par rapport au contrat, ce tarif là ça te va ? Est-ce que tu veux négocier ?” J’allais me mettre à négocier ? “Non tu abuses, je veux un peu plus ?”. Jamais de la vie. Je n’étais pas en position du tout de me le permettre. Ca m’allait très bien. “Ok Fred, rendez-vous tel jour pour essayer le costume, la coupe de cheveux, la barbe, et tout”. 

Le jour des essayages, je rencontre la comédienne, qui allait être ma partenaire dans le film (Amélie Bénady, ci-dessus). “Si tu veux qu’on répète des scènes, celle où on danse par exemple, si tu veux on la répète maintenant ?” On n’a pas eu le temps ce jour-là, mais elle a été super gentille d’entrée. Et pour le novice que j’étais cela rassure un peu.

Arrive le tournage. On nous donne un document avec le planning, et les horaires du PAT. PAT ? Je n’avais jamais entendu ce mot. “Ca veut dire quoi ?”, “PRET A TOURNER, Il faut que tu sois là 2 heures avant l’heure du PAT parce qu’il faut que tu passes au maquillage, à la coiffure, et que tu essaies les habits”. Cela se passait dans une grande maison en banlieue parisienne, on avait des sortes de loges. Je partageais la mienne avec un autre compagnon de l’Abbé Pierre.

Juste pour la blague. Chaque jour, une navette amenait les acteurs depuis la maison (où tout le monde se préparait) jusqu’au lieu du tournage. 1ère journée de tournage, les voitures attendent devant. On me dit : “Prends la navette, on se retrouve là-bas”. Je rentre dans une voiture, le chauffeur me demande : “Vous êtes acteur ?” Je n’ai pas osé dire “oui”, comme si je ne “l’assumais” pas. Je suis ressorti, j’ai fait le chemin à pied.

L’équipe du film ne m’a pas engueulé, mais ils m’ont dit : “Fred, tu dois prendre la navette comme tout le monde”.

L’une de mes premières scènes, je dois tourner avec un cascadeur : “Fred, voici la personne avec qui tu vas te battre”. On a travaillé pendant une journée ensemble sur la scène de combat. Fred Tellier (le réalisateur) me dit : “Prends le gars et jette le”. Moi, je suis bête et discipliné, donc le gars, je l’ai jeté. Le cascadeur se relève : “Non mais Fred, c’est du cinéma, il faut faire semblant”. Donc ça a été très drôle, on en a rigolé. Il m’a dit : “Fred, si on fait ça toute la journée, tu me tues.” (sourires). 

Concrètement, je n’avais aucun code du cinéma. 

Cette fameuse scène de combat, avec le cascadeur, nous l’avons tournée le 2è jour. Il y avait 150 figurants. Le réalisateur donne les consignes : “Fred, c’est toi qui commence. On attend tous sur toi . Quand tu es prêt, tu nous le dis”. En gros, “on démarre la scène quand toi tu démarres”. Dans ma tête je me dis :“Ouah, c’est chaud”, là tu as vraiment la pression. 

“On compte sur toi, c’est à toi de dire quand on commence”. Dans ma tête, je me dis : “à partir de quel moment, je peux considérer que je suis prêt ?” Je me suis répété cette phrase 2 fois, et je me suis dit : “Vas-y, lance toi”, Au bout d’un moment il faut bien y aller (sourires). Mais grosse pression quand même (sourires). 

Au basket, même si c’est dur, même si c’est une finale, c’est quand même un peu ton job, tu t’entraînes toute la semaine pour ça. Donc la pression, elle existait, bien sûr, mais je me rassurais avec mes automatismes. Et là, c’était quoi mes automatismes ? Rien.

Mai 2023, donc presque un an et demi après le tournage, on m’appelle : “Cela te dirait d’aller à Cannes pour la présentation du film ?”. Il y avait les acteurs principaux Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Michel Vuillermoz et nous étions quelques compagnons (compagnons de l’Abbé Pierre dans le film) à les accompagner.

C’était cool. Mais bon, j’étais stressé. Car je fais 2m17. Je n’avais pas de costume. Et comme j’ai été prévenu 2-3 semaines avant, je n’avais pas le temps d’en faire faire un. J’ai appelé à droite à gauche et je suis tombé sur “Size-Factory” (spécialiste en vêtements de grande taille). Je leur ai expliqué ma problématique, ils ont été supers : “Ne t’inquiète pas, viens et on va trouver une solution”. Ils m’ont donné un pantalon, une ceinture, des chaussures, et le noeud papillon (photo).

Ils m’ont tout donné. Sauf la veste, que j’avais déjà. Une veste grise, un peu passe partout. J’avais déjà acheté des habits chez eux mais je ne les connaissais pas personnellement… Je ne peux que les remercier. Sincèrement. Ils m’ont dit : “On te prête tout” et le jour où je suis venu leur rendre les vêtements, ils m’ont répondu : “non non garde les on te donne tout” . 

A Cannes, je suis resté 2 jours. La montée des marches, c’était bien, mais ça ne m’a rien fait du tout. Sur le moment, si, j’étais content de le faire pour ma mère, car je savais que ça lui faisait plaisir. Ma soeur aussi. Ceux qui me connaissent le savent, je ne suis pas du tout dans ces trucs là. Mais c’était quand même agréable, je ne vais pas dire le contraire. J’étais très loin d’être la star du film alors je pouvais être assez tranquille.

Sur le tapis rouge, je n’ai pensé qu’à une chose : monter les escaliers sans tomber. J’avais des chaussures de ville, neuves, alors que je suis toujours en baskets. J’ai juste pensé à : “Ne te casse pas la gueule”. 

Après il y a la projection du film. C’était quand même impressionnant. Je n’avais jamais vu une salle de ciné aussi grande de ma vie (Palais des Festivals). L’équipe du film entre en dernier et tu vois les gens applaudir, longtemps, regarder vers toi. Là, je me redis : “Si tu te casses la gueule maintenant, ce n’est pas cool”.

C’est la 1ère fois que je voyais le film. J’étais attentif mais j’hésitais… Quand j’apparaissais à l’écran : Je regarde ? Je ne regarde pas ? Je déteste me voir. Même quand je jouais (au basket) je ne me regardais jamais.

Après le film, on nous dit : “Il y a une soirée”. C’était à 500 mètres, à peu près, du Palais des Festivals, mais des voitures viennent nous chercher. Tu fais tout en voiture. J’avoue que là, ce n’était pas de refus. J’avais mal aux pieds, comme ce n’est pas permis, dans mes chaussures toutes neuves. Je suis parti le premier de la soirée. Trop de bruits, et puis encore une fois ce n’est pas trop mon truc. J’étais au lit à 1h du matin.

Le 8 novembre, jour de la sortie, ma mère est allée voir le film. Je resitue le contexte : ma mère est Italienne (sourires). Elle m’appelle en sortant : “Franchement, tu es bien, et l’acteur principal, il est bien. Mais, je trouve que, par rapport à toi, on le voit trop” (rires) “Mais maman, c’est un film sur l’Abbé Pierre quand même.” “Oui mais bon, on pourrait le voir un peu moins”. Ca m’a beaucoup fait rire. C’est un truc de maman quoi. 

Elle a pris des photos du film, au cinéma, pour les envoyer à sa famille en Italie.

Ma mère est fière de deux choses pour moi. Le jour où j’ai interviewé le Prince Albert de Monaco (comme consultant tv, à la mi-temps de la finale d’Eurocoupe). Et la fois où j’ai joué dans un film. Le basket, elle s’en fiche un peu (sourires). Elle regarde, mais sans plus. 

Ce qui m’a le plus plu au final, dans tout ça ? C’est l’aventure humaine. Avec Benjamin Lavernhe on s’envoie encore des messages. Je me suis fait pote avec tous les compagnons. L’ambiance était tellement bonne entre nous. On était comme une équipe on se voyait souvent, on rigolait, on se chambrait. Et Emmanuelle Bercot, elle est vraiment super sympa. Michel Vuillermoz, aussi. Fred Tellier, extrêmement humain.

Pour l’anecdote, il y avait 150 figurants sur le tournage. Un jour, quelques personnes viennent prendre des photos avec moi. Benjamin Lavernhe, qui ne me connaissait pas du tout, arrive et me demande : “Mais pourquoi ils prennent des photos avec toi ?” On en reste là.

Pour la sortie du film, il y avait une double page dans l’Equipe, les journalistes avaient appelé Benjamin Lavernhe, il lui ont expliqué un peu ma carrière dans le basket, après quoi il m’envoie un texto : “Mais tu es con, Fred, pourquoi tu ne m’as pas dit que tu avais eu une médaille olympique ?” J’allais lui dire quoi ? “Salut Benjamin, j’ai eu une médaille olympique”. Cela n’avait aucun sens pour moi.

J’ai énormément appris de cette expérience. Le travail de Benjamin Lavernhe, pour s’imprégner du personnage, a été impressionnant. Je me suis encore plus rendu compte à quel point l’Abbé Pierre était un homme incroyable.

Tout ça m’a plu. Depuis, j’ai refait quelques castings, dont un aujourd’hui pour une pièce de théâtre. J’en ai fait un pour un film d’Eric et Ramzy, on avait un avion qui avait du retard et je devais jouer un homme un peu en colère. Je n’ai pas été pris. Mais maintenant, j’ai un peu moins de pression. Je veux apprendre encore. Et prendre du plaisir.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *