Ingénieur et mascotte


-- - 17/08/2022

Je suis ingénieur et puis, à côté de cela, je suis mascotte pour plusieurs clubs professionnels.*

Je m’appelle David, j’ai 43 ans et j’entame ma 12è saison sportive comme mascotte.

La dernière fois que j’ai compté, j’en étais à une dizaine de costumes portés.

Dans le sport, pour des événements d’entreprise et même en club de vacances lorsque je suis du côté vacancier (sourires).

Pourquoi est-ce que j’aime tant cela ? Peut-être parce que depuis petit (j’ai vécu mon enfance dans les années 80), j’ai toujours été attiré par le monde de Disney.

Par 2 choses : une émission qui passait le samedi soir présentée par Jean Rochefort qui contait les histoires de Winnie l’ourson et de ses amis. Les personnages Winnie, Bourriquet, Coco lapin, Tigrou, Porcinet étaient eux-mêmes des mascottes.

Il y avait aussi les images des parcs Disney à la télé. Encore une fois, ce qui m’intéressait, c’était de rencontrer les mascottes, pas les attractions.

Par contre, je n’ai jamais vraiment eu de déguisement enfant, donc quelque part c’est une belle revanche pour moi (sourires).

Dans le milieu sportif, j’ai toujours associé les matches de basket aux mascottes.

Première fois en 2011

Le basket est un sport qui m’a toujours attiré. J’en ai fait de 9 à 15 ans. Et c’est vraiment après l’Euro 2011, que je m’y suis remis à fond.

En début de saison 2011-2012, il y a eu un lock-out (grève des joueurs) en NBA.

Certains joueurs français décident alors de revenir en France. Tony Parker à l’ASVEL, Nicolas Batum à Nancy, etc.

Avec 3 collègues, on prend des places pour le 1er match de la saison à domicile. C’était contre Nancy. On voulait profiter de leur retour en France.

Par curiosité et ayant un peu perdu le fil de la Pro A, je vais sur le site du club pour jeter un oeil à l’effectif, voir si certains joueurs m’étaient connus… Là, je tombe sur une annonce : « devenez la mascotte du club ! » Immédiatement, je me dis : « c’est pour moi ça ! »

Dans l’annonce, ils demandaient de savoir danser, avoir le sens de l’humour et être à l’aise face à un public. Il fallait leur envoyer un mail. Je rédige un mini CV complètement farfelu. J’invente des expériences pour valider ces compétences.

Pour la danse, j’ai par exemple dit que j’étais « champion de zouk acrobatique ». Je pense que cette partie un peu décalée leur a plu et qu’elle validait au moins la compétence « sens de l’humour ».

Pour la suite du mail, je suis redevenu plus sérieux. J’ai rédigé une mini biographie mettant en avant mon lien depuis tout jeune avec le basket ainsi que ma condition physique. J’ai reçu une réponse dans l’heure : « Nous sommes très intéressés par votre profil et nous souhaitons vous rencontrer ».

Mes collègues en tribune et moi sur le terrain

Le lendemain, je rencontre la personne en charge des bénévoles. Le contact avec lui passe vraiment bien. Sa réponse est positive : je suis « embauché ».

Ensuite, tout est allé très vite.

1er match, donc, face à Nancy.

Avec mes collègues en tribune et moi sur le terrain (sourires).

Pour me sentir bien, j’ai toujours eu besoin d’avoir une vie extrêmement chargée.

A l’époque, quand j’ai postulé, ma femme était enceinte de 4 mois. Elle allait devoir passer quelques soirées de sa grossesse sans moi et accoucher en cours de saison.

Je ne suis pas du genre à ne pas préparer ce genre d’événement, donc j’ai tout fait pour que tout se passe au mieux. Même si, au départ j’ai fait un peu peur à tous mes proches, notamment mon frère aîné qui m’a passé un très gros savon : « ta femme est enceinte, tu vas avoir un enfant, tu n’as pas autre chose à faire que de faire le guignol sur un terrain de basket ? »

Pour moi, l’expérience était trop belle. Il fallait juste que je trouve des solutions pour adapter ce nouveau « hobby » à mes obligations familiales. Je pense, j’espère avoir pas trop mal réussi. Aujourd’hui, aucun moment de cette période ne semble avoir marqué ma famille par un manque.

Pour ce 1er match, j’avais 32 ans. Ma toute 1ère fois comme mascotte.

J’ai été surpris de la confiance qui m’a été accordée au moment d’entrer en scène.

On m’a montré mon vestiaire, donné mon costume et go ! Pas de briefing particulier, j’ai eu totalement carte blanche. Il faut savoir que c’était le 1er match du club dans l’Elite, tout le monde était sous pression et je pense que s’occuper de la mascotte n’était pas le souci principal.

Alors pareil, il a fallu s’adapter, vite comprendre les codes au cours même de la soirée. J’ai fait quelques trucs que je ne referai pas, ou pas de la même façon aujourd’hui, comme simuler de mettre des fessées à un joueur de l’équipe adverse qui était en train de s’étirer penché vers l’avant, mais rien de dramatique et cela reste marrant.

Donc au final avec cette entrée en matière, il y avait en moi tellement d’envie et d’excitation, que je n’ai pas eu le temps pour stresser.

Ingénieur en génie logiciel

J’avais regardé des vidéos de l’ancienne mascotte pour me préparer. Mon seul souci : essayer de faire aussi bien.

Même si personne au club n’a pu être derrière moi pendant ce 1er match, beaucoup sont venus me voir pour me dire que ma performance avait été très appréciée. Ce qui m’a fait très chaud au coeur.

« Ingénieur le jour, mascotte la nuit », un journal avait écrit ça sur moi, quand j’étais mascotte sur un événement sportif international, en France il y a quelques années.

Ingénieur et mascotte, cela peut paraître un grand écart entre 2 vies… Moi, je m’y retrouve complètement.

Mon métier d’ingénieur est relativement simple : je travaille sur des logiciels industriels et je m’occupe d’assurer que ce qui sort de chez nous est conforme aux exigences contractuelles avec notre client. En gros, notre client énonce des exigences qui sont formalisées dans un document. A partir de ces exigences, je rédige des cahiers de tests permettant de valider la présence de ces exigences dans notre application. Une fois que le logiciel est développé, je le teste et rédige des réponses positives ou négatives. Si les tests ne sont pas validés, on rédige des « bugs » pour renvoyer aux équipes de développement qui corrigent les anomalies que j’ai pu relever. Je peux également être amené à faire la démonstration du bon fonctionnement de notre logiciel à notre client.

Aujourd’hui, la plupart de mes collègues savent que je suis mascotte. Lorsque j’en parle, j’ai à 80% la même réponse : « mascotte ? C’est quoi ça mascotte ? »

J’explique alors que je me grime en personnage pour animer des compétitions sportives ou des événements. Cela les intrigue beaucoup et il s’ensuit en général tout un lot de questions. Ce que j’aime voir, c’est au départ l’air amusé, presque moqueur, pour finir avec un regard plus fasciné et impressionné, surtout quand j’évoque les expériences que j’ai eu la chance de vivre.

Les jours où j’officie comme mascotte, je dois forcément m’organiser un minimum.

Déjà, tout dépend si le match est en semaine ou le week-end. Si c’est en semaine, je dois composer avec mon travail et cumuler les 2 activités sur la même journée.

J’ai la chance d’avoir un métier où je peux gérer mes horaires : arriver à l’heure que je veux, partir à l’heure que je veux et faire le nombre d’heures que je veux dans une journée dans la mesure où cela reste raisonnable. Donc si le match est en semaine, je me lève à 6h du matin afin d’être au travail à 7h30. Je termine ma journée « classique » vers 16h30 pour aller à la salle. J’y arrive vers 17h pour des matches qui commencent entre 20h30 et 20h45. Je sors de la salle un peu avant 23h en général, ce qui me fait arriver chez moi vers minuit au plus tard.

Si le match est un samedi, je suis plus à la cool. Le samedi matin j’emmène ma fille aux bébés nageurs, après ça je file chercher ma grande de 10 ans à son cours de multisports. Ensuite on déjeune et comme les matches du samedi sont souvent à 17h, je pars juste après le déjeuner.

En général, les dimanches de l’hiver je suis aussi mascotte sur des courses hippiques. La journée est un peu plus speed quand c’est le cas. Je dois y être pour 11h, je m’installe, je déjeune et j’entre en piste jusqu’à 17h30-18h (avec des pauses bien aménagées bien sûr).

J’ai appris énormément de choses sur moi

L’été 2019, j’étais mascotte pour des meetings en soirée à Cabourg (Normandie). Pour économiser un peu mes congés, je posais seulement mon après-midi. Donc après une matinée de travail, je prenais ma voiture pour environ 2 heures de route et je débutais vers 17h. La performance durait jusqu’à 22h environ, je prenais rapidement une douche avant de reprendre la voiture et arriver chez moi un peu après minuit.

Comment est-ce que je me prépare concrètement ?

Je pense que beaucoup de mascottes ont ce type de préparation qui consiste à passer un peu de temps dans la salle, quand elle est encore calme et vide.

J’aime vivre ces moments. J’ai besoin de m’approprier cet univers. Je pense qu’une mascotte doit continuer de rêver, de se considérer comme « chanceuse » d’intervenir sur cette scène qu’est le terrain, devant un public.

Cela génère de la motivation et de l’enthousiasme qui sont importants, je crois, pour une bonne performance.

Ensuite arrivent les speakers et les gens qui tournent autour de l’événementiel. On prépare les diverses interventions des temps morts. On fait parfois des répétitions quand les sketches sont un peu plus élaborés. Depuis que je suis passé professionnel en tant que mascotte, je sens que les équipes sont plus exigeantes avec moi. Elles laissent moins de place aux échecs, ce qui est normal.

Depuis que je fais ça, j’ai appris énormément de choses sur moi, sur les gens… Il y a tellement de choses qui ressortent de cet univers.

J’ai découvert que les gens ont besoin d’affection et de rêver. Avec la 1ère mascotte que j’incarnais (pour un club de basket) j’ai été réputé comme étant une mascotte très « câline » avec le public, ça va des enfants tous petits jusqu’aux papis, mamies. Avant tout ça, je n’avais jamais été quelqu’un de très tactile avec les gens alors j’imagine que cela m’a rendu plus chaleureux dans mon quotidien.

On capte et on ressent la chaleur que les gens vous transmettent malgré eux. Dans leurs gestes, leurs attentions et surtout dans leurs regards, surtout lorsqu’ils sont enfants. Ces regards d’enfants ne mentent pas et ils m’ont permis de garder la tête hors de l’eau quand j’ai vécu la pire des expériences de ma vie à savoir la perte de ma maman. Ma mère est tombée malade au début de ma 2nde saison en tant que mascotte et elle est partie en exactement 4 semaines. Dans ce genre de situation, on a envie de tout oublier, de faire table rase de tout ce qui nous entoure et j’ai donc pensé à raccrocher le costume.

Etre enjoué sur un terrain, faire rire les gens, sauter de joie, faire le fou, c’était à l’extrême opposé de ce que je pouvais ressentir dans ces moments et pouvait même paraître très déplacé pour la mémoire de la personne qu’on vient de perdre. Et puis je me suis remémoré le film de la saison précédente : les regards des enfants qui s’arrêtaient devant moi en se demandant si j’allais les reconnaître et qui n’attendaient que d’être serrés dans mes bras, toutes les marques d’affection de tous les supporters, quelle que soit leur personnalité, jeunes ou moins jeunes, hommes ou femmes, ronchons ou joyeux… Je les ai tous revus dans un coin de ma tête à un moment ou à un autre, un moment qu’on a pu partager ensemble. L’hôpital où ma mère est décédée était sur mon trajet. Je pleurais en chemin. J’arrivais à la salle tout sourire devant les gens que je croisais puis performais comme si de rien était à peine une heure après.  

Dans ce douloureux moment, l’amour du public a été la meilleure thérapie qui soit et ces gens qui m’ont marqué durant cette période seront toujours dans mon coeur.

« Il ne fait pas trop chaud là-dedans ? »

Quand on est mascotte, le public imagine qu’on fait partie de l’équipe et l’équipe imagine qu’on fait partie du public.

En fait, ils sont tous dans le faux. Nous sommes un intermédiaire. Alors effectivement on capte les choses comme personne de par cet angle d’observation que nul autre peut avoir. Par exemple, quand je suis sous le panier pendant les matches, je jette parfois un oeil en tribune. Parfois, je vois un enfant qui ne regarde pas le match, mais moi-même.

Lorsque je le vois, j’essaie de faire un petit coucou. Les réactions sont toujours géniales à voir. En général il se retourne directement vers le parent qui l’accompagne pour lui raconter : « la mascotte m’a fait coucou ! »

D’un autre côté, on peut aussi être proche des sportifs, se mêler à eux en avant match ou en après match, comme un spectateur privilégié qui peut entendre le debrief du capitaine après un gros match.

Pour moi, une mascotte doit faire rêver les gens, les amuser, les faire sortir de leur quotidien. Elle leur donne aussi un lien avec leur équipe. Ce qui fait que, souvent, les gens aiment rapporter une photo souvenir avec nous.

A l’inverse, je n’ai pas les mots pour expliquer ce que le public peut m’apporter. C’est un tout assez inexplicable. J’ai même créé des liens assez forts avec des supporters rencontrés au fil de mes expériences. 

D’une certaine façon, on peut dire que la vie est belle en mascotte (sourires). Mais, que l’on soit mascotte ou toute personne de ce monde, notre vie est ce qu’on en fait, à nous de la rendre encore meilleure avec les moyens qu’on a. On vit dans un pays où, si on est en bonne santé, on peut réaliser de magnifiques choses, il faut savoir créer les opportunités, être créatif et devenir bon dans son domaine.

La condition physique, indispensable

La question qui revient le plus : « il ne fait pas trop chaud là-dedans ? » Je réponds toujours par un signe de main pour dire que tout va bien. Je pense que je me suis habitué à cette condition.

A l’intérieur du costume, parfois on peut sourire ou faire une tête rigolote sous le masque quand on pose pour une photo et on réalise après coup que le masque fait le travail pour nous (sourires). On en parle souvent entre mascottes et c’est assez rigolo. 

Je pense qu’avoir une bonne condition physique quand on est mascotte, c’est un prérequis indispensable. J’ai un programme de préparation physique que je commence au début du mois d’août.

Il n’y a rien de pire qu’une mascotte amorphe, il faut faire en sorte de montrer son énergie chaque fois que le moindre œil peut se poser sur nous. 

Je suis une personne qui au quotidien déborde toujours d’énergie. Il faut que mon cerveau et mon corps soient toujours connectés et que mon temps soit optimisé quoi que je fasse, c’est presque une obsession. J’ai une vie bien remplie et je l’aime comme ça.

Cela demande beaucoup d’organisation mais c’est faisable ! 

*Mascotte officielle de clubs professionnels en basket, handball et rugby

Précision : En photo de Une, Footix l’une des premières mascottes françaises célèbres (Coupe du monde de football 1998) mais non incarnée par David.

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