Je vends des DVD aux Puces de Montreuil


-- - 10/11/2019

Je fais le marché ici aux Puces de Montreuil depuis 25 ans, j’en ai 62. Aujourd’hui, j’ai un bon emplacement. Je suis au cœur du marché, mais c’est difficile d’arriver au bon quartier. J’ai changé 4 fois de place.

J’étais plus du côté de Porte de Bagnolet au départ, au bout du marché. C’était moins intéressant. Il y a 10 ans, j’ai repris la place de mon père qui avait une confection féminine. Je suis Marco, je vends des DVD. Des milliers de DVD, aux Puces de Montreuil.

6h30, j’arrive avec la camionnette

Ce marché, il existe depuis 1860. Et les plus belles années, elles sont derrière nous. Ce n’est plus trop ce que c’était… Les Puces c’est : le samedi, le dimanche et le lundi. Je me lève à 5h du matin. Je prends ma douche, je me prépare et à 6h je pars de la maison. A 6h30 j’arrive avec la camionnette, les DVD à l’intérieur.

Il y a 3 ouvriers qui m’aident à déballer, installer. Ils connaissent exactement leur rôle, en fonction des films, des thématiques. On met tout en place, on installe les stands et moi ensuite je peux rester ici (sur l’estrade) je gère et je parle aux gens.

Les clients peuvent arriver quand ils veulent mais en général ils viennent à partir de 10h30, 11h. Il y a eu une époque où certains clients m’attendaient à 7h du matin pour voir mes nouveautés. Ils attendaient le week-end pour venir me voir. C’était il y a 15 ans.

Maintenant Internet a démoli le métier. A peu près tout ce que je vends est gratuit sur Internet. J’avais beaucoup de clients réguliers, que je conseillais… Aujourd’hui, ce sont des gens de passage, moins assidus.

Qui est-ce qui m’achète des DVD ? Une population très populaire qui n’a pas forcément les moyens d’avoir un ordinateur, Internet. Je vends des films d’auteur et le tout le reste : films d’action, karaté, science-fiction, histoires d’amour…

Mais ce que je vends le plus, ces dernières années, c’est du porno. En général, il y en a qui sont un peu bloqués au moment de payer. Je les débloque en ne les regardant pas dans les yeux. 60% de cette clientèle me demande de jeter la boîte et de ne repartir qu’avec le contenu, le CD.

Il ne faut pas en avoir honte. Il y a une utilisé sociale. Cela représente un besoin plus qu’une envie pour beaucoup de clients. Aujourd’hui ce sont 70% de mes ventes. 95% d’hommes, 5 % de femmes. Des dames qui viennent car leur marabout leur a dit : “si tu veux remotiver ton mari, il faudrait qu’il voit ça, ça“. Alors elles viennent acheter, elles repartent avec leur DVD et souvent après quand elles repassent elles viennent me remercier. Et celle qui n’a pas les moyens, je ne sais pas si cela se dit mais je leur offre le DVD.

Maintenant, Internet a démoli le métier

Pour les films “normaux“, j’en vends moins et aussi malheureusement je conseille de moins en moins les clients. Je le regrette. Internet a déjà fait tout le travail. Parfois, j’aime offrir un ou deux DVD. Pour le plaisir. 

Il y a beaucoup de gens qui ne m’achètent rien et qui viennent pour parler. Peut-être un client sur 3 vient pour parler. Juste ça. J’aime mon prochain et je crois que les gens le ressentent. Il ne faut pas marcher à l’intérêt. Que tu achètes ou que tu n’achètes pas, si tu as besoin de parler, c’est la même chose pour moi.

Cette dimension humaine : je ne vis que pour ça. C’est elle qui me donne envie de me lever le matin.

Les gens, ils me parlent de leur divorce, de leur manque de moyens, de leur maladie, de leur ennui. En gros, c’est ça.

Je prends encore du plaisir car je parle aux gens

Très souvent, c’est moi qui entame la conversation quand je sens que la dame, le monsieur a besoin d’être écouté. Les gens ont plus honte qu’avant de raconter leurs misères, ce qu’ils sont devenus. Ce qu’on va penser d’eux.

Ce marché, il a fait la gloire de mes parents. Quand j’avais 25 ans, chaque week-end, je finissais d’aller en discothèque, au petit matin et je venais voir mes parents qui travaillaient là en leur promettant qu’un jour je les sortirai d’ici.

Je prends encore du plaisir car je parle aux gens. J’adore les gens. Mais j’ai 62 ans, ma place n’est plus ici. Faire le marché, c’est devenu un métier dépassé. Je ne peux pas faire autre chose vu mon âge et le fait que je n’ai pas de diplôme. Je dois encore gagner ma vie, vivoter…  

J’ai eu beaucoup d’argent, je l’ai perdu aux jeux. J’ai eu des restaurants, des salons de coiffure, une grosse affaire de confection féminine. J’ai beaucoup gagné, puis beaucoup perdu au poker. Dans les années 1990 je peux dire que j’étais riche. Millionnaire. C’est la vie. Je ne regrette rien. J’ai profité du moment présent j’ai vécu dans des beaux endroits, j’ai eu de belles voitures, j’ai fréquenté de beaux hôtels. J’ai profité, sans compter. Voilà pourquoi je ne regrette rien.

J’ai commencé par vendre mes K7 vidéos. Un samedi soir, il y a 25 ans, j’appelle mon papa : “Est-ce que demain matin je peux amener ma collection personnelle de K7 vidéos ?“ A l’époque c’était encore des cassettes. Mon père me dit que pour lui il n’y avait aucun problème. Ma collection personnelle, c’était 2 500 films, que je vendais 300 F, 400 F le film. Aujourd’hui, je vends 2 euros un DVD.

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