Au bout du monde


-- - 02/08/2022

Je suis né en Provence, j’ai grandi (en partie) à Strasbourg. Aujourd’hui je vis, je travaille en Australie. Mais je n’ai pas la sensation d’être à l’autre bout du monde.

Sauf quand je rentre voir ma famille, mes amis (en France). 24 heures d’avion, ce n’est pas la porte à côté.

Je m’appelle Christian, j’ai 59 ans et je vis en Australie depuis 26 ans. A Adélaïde, en Australie-Méridionale. C’est la 5è ville du pays en nombre d’habitants (1,3 millions).

L’Australie est le 11è pays où je vis. Cela a commencé petit en suivant mes parents. Mon père a toujours été expatrié ou presque. Il travaillait dans l’exploitation pétrolière. J’ai vécu en France, Turquie, Iran, Koweit, Malaisie, Singapour, au Qatar, aux Emirats, puis aux Etats-Unis, aux Bermudes et donc depuis 1995, en Australie.

J’ai fait l’école maternelle en France. Mes années de primaire, je les ai suivies à l’étranger (Iran et Koweit essentiellement), collège lycée en pension en France, élevé par mes grands-parents. Mes parents étant restés à l’étranger, je les voyais pendant les vacances.

Mais c’est vraiment à partir du collège à Strasbourg que j’ai commencé à apprendre l’anglais. J’ai toujours voulu travailler dans le monde de l’hôtellerie et si possible, voyager.

Hôtel Sheraton à Doha, début des années 1980
Doha, aujourd’hui

Après le bac (1981), j’ai tenté ma chance à l’étranger. Cela m’a plu. Je ne suis plus rentré en France, si ce n’est pour rendre visite aux amis et à la famille.

La 1ère occasion s’est présentée, avec un boulot au Qatar à l’hôtel Sheraton. Un contrat d’apprentissage de 2 ans, dont 2 sessions d’études aux Etats-Unis pendant l’été. Mes parents, qui avaient vécu là-bas plusieurs années, connaissaient cet hôtel et cela s’est fait comme ça.

Moi, j’avais 20 ans, cela m’a attiré car là-bas, les gens avaient l’air de mener une vie on peut dire “glamour“ pour l’époque.  Et je me disais que l’hôtellerie, la restauration, cela ouvrait les portes au voyage. Il y avait ce côté-là un peu bohème, voyage, qui me plaisait. J’avais envie de me rapprocher de cela.

Mon apprentissage au Sheraton a duré 2 années entrecoupées de cours d’été aux Etats-Unis dans l’Etat de New-York. On apprenait tous les métiers : réceptionniste, comptabilité, cuisto, établir des menus, les coûts des menus dans un restaurant, et j’en passe.

Excepté un an en cuisine, j’ai toujours bossé dans le service. Actuellement, je suis serveur au Parliament House à Adelaïde (le siège du Parlement d’Australie-Méridionale). J’ai toujours fait ça. Et ça me plaît.

Cuisiner me plaît aussi, mais uniquement chez moi (sourires).

Juste pour revenir sur le Qatar, c’est vrai qu’on entend beaucoup plus parler du Qatar aujourd’hui, Doha, la Coupe du monde 2022… Moi, j’y étais au début des années 1980. C’était désert. Il y avait vraiment peu d’endroits où sortir, très peu d’hôtels, pas vraiment de vie la nuit.

Il n’y avait pas de tourisme. C’était surtout une clientèle d’affaires. L’hôtel où je travaillais était au milieu du désert, aujourd’hui il est entouré de gratte-ciels ( voir photos). Parfois, tu rencontres des gens sympas, des rencontres improbables comme le commandant Christian Prouteau, fondateur du GIGN qui était chargé de la sécurité de la réunion des chefs d’Etats des Pays du Golfe, qui avait lieu la 2è année où j’y travaillais, au Sheraton. Je me rappelle, ils avaient fouillé l’hôtel de fond en comble. J’avais sympathisé avec des officiers du GIGN, c’était vachement cool comme expérience. 

Cela faisait 2 ans que je bossais au Qatar, j’avais envie de quitter le Moyen-Orient. Je me suis mis à chercher autre chose. Sachant qu’il n’y avait pas Internet à l’époque (sourires). Dans l’hôtel où je bossais, il y avait un kiosque et un magazine anglais avec dedans des petites annonces. Et un jour je tombe sur une annonce pour un hôtel aux Bermudes qui recrute. Je me dis : “Pourquoi pas“. Je vois aussi que, en 1 semaine de travail là-bas, je gagnerais ce que je gagnais en 1 mois au Qatar.

Honnêtement, les Bermudes, je ne connaissais pas du tout, hormis à travers “le triangle des Bermudes“. J’allais dans les rares librairies, voir les bouquins, chercher dans les encyclopédies, pour me faire une idée sur ce à quoi je devais m’attendre.

Nouvel An 2007, Hôtel Hyatt à Adélaïde. Fin de service

Car entre temps, j’avais postulé (par courrier) et j’avais été pris pour le job (serveur). Je pouvais partir sereinement car je savais qu’un nouveau boulot m’attendait.

Les Bermudes, c’est 36 km2. La ville est un port et quand j’arrive, je suis marqué par les paquebots qui sont amarrés. Et puis il y avait un peu d’animation dans la ville, je n’étais plus habitué. Ce qui m’avait marqué aussi, c’est ce qu’on appelle les grenouilles des Bermudes, de toutes petites grenouilles, vraiment minuscules (à peu près la taille d’une phalange du pouce) que tu ne vois pas forcément mais tu les entends siffler. Je ne les voyais pas, mais j’entendais leur sifflement. 

Ile des Bermudes
Le port d’Hamilton (Bermudes), fin des années 1980

Me voilà débarqué aux Bermudes pour… 11 ans. Jamais je n’aurais cru rester autant. Moi à l’époque, je voulais travailler aux Etats-Unis, et je me disais que les Bermudes, cela pouvait me servir de tremplin. L’île est à 1h30 de New-York.

Les Bermudes, c’était relax comme vie. J’ai eu 2 boulots. 7 ans dans un l’hôtel, je bossais pour les petits-déjeuners et dîners. Donc de 10h du matin à peu près, jusque 17h, j’étais libre. J’ai ensuite bossé dans un village de multipropriété. On n’était pas trop bousculé non plus.

J’avais le temps de profiter. Et, comme NYC n’était qu’à 1h30 de vol, c’était souvent qu’avec des collègues, on pouvait prendre l’avion, par exemple le 1er avion du matin, tu passes la journée à NYC et tu reviens avec le dernier avion du soir. Ou alors je passais un long week-end à NYC, Boston, où n’importe où sur la Côte Est. Je faisais ça 1 ou 2 jours et je revenais sur l’île. Retrouver l’effervescence et la grandeur de l’Amérique faisait du bien.

Les Bermudes, c’est au milieu de l’océan atlantique donc relativement exposé pendant la saison des ouragans (de juin à novembre). Comme c’est une petite île, le plus souvent les ouragans nous évitaient.

Mais en septembre 1987, on s’en est pris de plein fouet. L’ouragan “Emily“ nous a frappés au moment du petit déjeuner, engendrant des dégâts matériels considérables.

Une route dans le désert australien

1995. Direction l’Australie. J’ai 33 ans.

J’y avais été 2 fois en vacances. La 1ère fois j’avais 25-26 ans, je passais mes vacances à Singapour et je me suis dit pourquoi ne pas en profiter pour passer une paire de semaines en Australie. La 2è fois, j’étais en vacances chez un ami en Californie, et j’ai prolongé jusqu’en Australie. J’aimais l’atmosphère de ce pays.

Après 11 ans aux Bermudes, je sens que j’ai besoin de partir. Je décide de faire une demande de résident permanent pour l’Australie, auprès du consulat de New-York. C’était en 1995. Toujours pas d’Internet (sourires). Je remplis des papiers. Je leur envoie. Et ainsi de suite. Le consulat vérifie plusieurs choses, notamment si tu parles bien anglais (échange de 10 minutes au tel), ils te font faire des tests médicaux. Quelques mois plus tard je reçois dans ma boîte aux lettres ma carte de résident permanent australien.

Je ne connaissais personne. Je n’avais ni logement, ni travail qui m’attendait. C’était une période où l’Australie ouvrait davantage ses frontières, c’est aussi la grande chance que j’ai eue.

Ma carte en poche, le seul “impératif“ de mon visa, c’était de m’établir à Adélaïde. Adélaïde avait besoin de se peupler d’une certaine façon. J’arrive à Adélaïde, où je vis toujours.

Je suis à l’hôtel et je scrute les petites annonces pour trouver un appartement. Les conditions étaient bien plus souples comparé à aujourd’hui, ça j’en ai bien conscience. Quand j’ai eu mon logement, j’étais content mais ma priorité c’était d’aller au GP d’Adélaïde, qui allait être le dernier dans la ville (1995). Et ensuite je me suis inquiété de chercher du boulot (sourires).

En Australie, le Ghan traverse le désert sur près de 3 000 kms

En Australie, des boulots j’en ai eu pas mal. J’ai travaillé pour plusieurs bonnes tables à Adélaïde, et sa région qui est assez viticole. Et, avec l’expérience que j’avais, j’aspirais à gérer quelque chose, être manager. A chaque fois, on me disait que cela ne faisait pas assez longtemps que j’étais là, que je n’avais pas assez de connaissance du pays. Bref, jusqu’au moment où je n’ai plus du tout eu envie d’être manager. Je me suis rendu compte que ça m’allait très bien d’être serveur et ainsi de garder une certaine liberté. Le statut m’importe peu. Du moment que je suis heureux. C’est en cela que j’ai le sentiment, quelque part, de “réussir ma vie“.

J’ai aussi pu vivre des choses spéciales comme travailler dans un train. Un train qui s’appelle “le Ghan“ (photo) et qui traverse l’Australie du Sud au Nord et d’Ouest en Est (l’Indian Pacific, voir photo). 2 979 kms d’Adélaïde à Darwin (54 h de voyage) et 4 352 kms de Perth à Sydney. Cela m’a permis de découvrir l’immensité du pays tout en travaillant.

Dans le Ghan, on parcourt le désert à perte de vue. Il y a plusieurs formules, “gold“, “platinium“ (avec restaurant et couchettes) et économique, avec pas mal de backpackers. J’étais serveur dans l’un des restaurants. Et comme le trajet dure plusieurs jours, on dort dans des couchettes. J’ai fait cela 4 ans (2013 à 2017). J’ai aimé car les voyageurs de ce train sont en vacances, l’atmosphère est assez détendue.

Christian, dans le restaurant de l’Indian Pacific (de Perth à Sydney, 4 352 kms)
Le Ghan, en gare d’Alice Springs

À chaque voyage son lot de surprises. Comme on traverse le désert, il y a des situations particulières à gérer. Un jour, on a dû attendre des heures au milieu de nulle part en pleine nuit avant qu’une ambulance vienne chercher un passager. On a dû arrêter le train et faire un feu pour qu’ils puissent nous repérer.

Sur le trajet du Ghan, un jour en plein outback, on a percuté une vache ou un chameau (je crois bien que c’était une vache ce jour-là, mais il peut arriver que ce soit des chameaux). On a pu rallier Alice Springs quand même, mais au ralenti car le train avait été endommagé à l’avant de la locomotive, c’était les circuits d’airs ou quelque chose comme ça.

Une fois à Alice-Springs, qui est la seule ville d’une certaine importance à 1 000 kms à la ronde, il a fallu réparer la locomotive (en provenance de Darwin) pour rejoindre Adélaïde. Nous avons dîné avec les passagers à la belle étoile (il y a beaucoup d’étoiles dans le ciel d’Alice Springs), et sommes arrivés à destination avec 24h de retard. Tout le monde y a mis du sien et finalement ce fut un bon souvenir.

A Darwin (terminus du Ghan), j’ai pu croiser des crocodiles d’assez près, dans leur milieu naturel. On était sur une petite embarcation avec guide (voir photo).

Adelaïde River, à Darwin

Et puis je ne me lasserai jamais des levers et couchers de soleil au milieu du bush.

Je ne suis pas marié et je n’ai pas d’enfants. Ce qui rend les choses plus faciles pour ce genre de travail, de vie.

Aujourd’hui, je travaille au restaurant du Parliament House d’Australie-Méridionale (photo ci-dessous), réservé aux membres du Parlement, à Adélaïde. J’aime ma vie ici et je ne pense plus partir. Je ne pense pas revenir en France.

Chambre des députés, au Parlement

J’aime rentrer pour voir les amis, la famille. Mais, à ce jour, j’ai passé beaucoup moins de temps en France qu’en Australie. C’est là que je me sens “chez moi“. C’est pour ça que je n’ai pas la sensation de vivre au bout du monde. On dit de l’Australie que c’est le bout du monde. On est “loin“ de tout finalement, à part de l’Asie. Mais comme je le disais au début, je ne ressens pas cela. A part dans l’avion.

En moyenne j’essaie de rentrer en France une fois tous les 2 ans, 1 bon mois. Hors période Covid…

En août 2020, j’avais tout calé, et puis cela n’a pas été possible. 2021 non plus. L’Australie a très vite fermé les frontières avec la pandémie. Je suis fan de rugby alors maintenant j’aimerais pourquoi pas, pouvoir rentrer en 2023.

Je lis la presse française à peu près tous les jours, je regarde les journaux tv en français aussi. Internet, Whatsapp… Je ne suis pas très réseaux sociaux mais c’est vrai que la technologie permet de garder le lien. Avec mes parents, je vais plus envoyer des mails. Ou appeler pour l’anniversaire, Noël.

Les livres, j’ai plus l’occasion d’en lire en anglais. Dans ma tête, parfois je pense en anglais, parfois en français. Si les circonstances sont australiennes je vais penser en anglais. Si c’est quelque chose qui se passe en France, famille etc, je pense en français.

Pareil les rêves. Les rêves tu ne les contrôles pas, mais parfois je sais que je rêve en français parfois je rêve en anglais, tout dépend de l’environnement de mon rêve.

Entrée sur le territoire australien

Vivre à l’étranger, j’ai peut-être gardé ça de mon père. La sensation de liberté me plaît. J’ai toujours fait ce que j’avais voulu et puis ça reste le cas.

L’expression préférée en Australie, c’est “No worries“. Et ça colle bien à l’état d’esprit ici. Il y a, je ne sais pas comment l’expliquer, un certain bonheur de vivre, quelque part.

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