Mes nuits à la pharmacie


-- - 16/05/2021

Cela fait à peu près 6 mois que je suis agent de sécurité dans une pharmacie, ouverte 24h/24, 7j/7.

Moi je travaille de 18h à Minuit, 3 ou 4 jours par semaine, ça dépend. Je m’appelle Henri. A minuit, on ferme tout et il faut que le client sonne pour que la pharmacienne ou le pharmacien à l’intérieur ouvre une petite fenêtre, pour faire passer l’ordonnance, les médicaments. C’est complètement sécurisé.  

Sur 24h, on est 3 agents de sécurité à se relayer. Mon collègue, il commence à midi et il descend à 18h. J’arrive un peu avant 18h et je descends me changer au vestiaire : chemise noire ou blanche et pantalon noir, des chaussures correctes, tout. Ce sont mes habits. J’enfile mon brassard de sécurité au bras gauche, il est orange. J’amène de l’eau, juste ça. Je mets ma bouteille dans mon sac et si j’ai soif, je bois un peu.

La pharmacie est ouverte 24h/24, tous les jours même Noël

Je ne suis pas médecin, ni pharmacien, mais c’est moi que les gens voient en premier quand ils arrivent. Souvent, ils me disent : “Monsieur, je suis malade… Voici mon ordonnance, est-ce que vous pouvez m’aider ?“. Je leur dis : “Non, moi je suis le vigile. Voici la pharmacienne, c’est elle que vous devez voir, qui va vous conseiller“. Il faut que je sache un peu comment parler avec les gens.

Avec les touristes, les étrangers qui parlent espagnol, portugais, anglais, je leur dis : “Désolé, je ne parle pas anglais, portugais ou espagnol“ alors ils attendent de voir le pharmacien pour poser leur question.

J’ai appris à savoir diriger les clients en fonction de leurs demandes, je dois pour cela connaître les rayons, où se trouve tel ou tel produit en libre-service. Tous les jours, par exemple, on me demande “Où sont les rayons pour bébés ?“. Je dois connaître tout ça aussi pour un minimum renseigner les gens.

Chaque soir, il y a des jeunes qui viennent pour acheter des préservatifs. A l’intérieur c’est 2 euros et dehors dans la machine 4 euros. Chaque soir aussi, des femmes viennent pour chercher un test de grossesse. Ils sont en libre-service. Elles me demandent, je leur indique où c’est. Cet été pendant les vacances, il y avait beaucoup de personnes qui venaient acheter de la crème solaire, à 22h, 23h. C’était pour les vacances. Et puis du doliprane, ça c’est tout le temps.

Je vois des gens quand ils arrivent, ils paniquent et quand ils ressortent, ils sont soulagés

Mon rôle, c’est de rester debout et toujours attentif. C’est une grande pharmacie.

Dans la file pour les ordonnances il y a toujours plus de queue. Il y a des gens qui, quand ils entrent, me disent : “Je suis passé par beaucoup de pharmacies et ils n’ont pas mes médicaments, ils m’ont dit de venir ici“. Bon, comme c’est une pharmacie qui est ouverte 24h/24, même le jour de Noël. Tous les jours, il y a la queue parfois même jusqu’au passage piétons.

Je n’ai jamais vu une pharmacie comme celle-ci. Parfois pendant une minute, je me dis : “maintenant c’est plus calme“. Je lève les yeux et la pharmacie est à nouveau remplie. Ca ne s’arrête jamais.

Il n’y a pas longtemps, il faisait nuit, une dame avait la carte ‘priorité handicapé’, elle n’osait pas s’en servir, je lui ai dit : “Venez, vous allez passer ici. Vous ne pouvez pas rester comme ça“. Parfois ça énerve les gens. Ils ne comprennent pas. Moi, je fais mon travail.

Il y a des gens, ils sont malades. Quand ils viennent, ils n’ont même pas la patience d’attendre. Quand ils voient la queue ils disent : “Non non je ne peux pas je vais partir“. Je leur dis : “Mais Madame, maintenant que vous êtes là, restez pour prendre vos médicaments“. Elle dit : “Oui, c’est vrai.“

Beaucoup de gens, quand ils repartent, ils sont reconnaissants, ils disent : “Merci Monsieur, bonne soirée“. Ils sont rentrés pas bien et ils repartent avec le sourire. Il y en a qui viennent exprès me voir en repartant pour me dire bonne soirée, bon courage. “Bonne soirée, merci à vous de même !“ Ca, ça me fait plaisir.  

Des personnes, je crois qu’il y en a qui viennent aussi, elles ont besoin de parler. Malheureusement mon travail ne me permet pas de vraiment discuter. On voit des personnes qui reviennent souvent le soir, peut-être qu’ils vivent à côté. Beaucoup de personnes âgées aussi, mais elles ne viennent plus trop après 20h.

Le soir, il peut y avoir des tensions quand un client vient chercher un médicament mais qu’il n’a pas d’ordonnance : “Je ne peux pas vous les donner sans ordonnance“, dit le pharmacien et le client s’énerve. Il insulte, cela peut arriver. Dans ces cas-là, je m’approche de la caisse, ma présence juste ça suffit. Je crois que le plus important, c’est qu’il faut avoir toujours la maîtrise, rester calme. Je ne suis pas là pour me bagarrer.

Le règlement intérieur c’est : pas de casque, pas de capuche, pas de chien, pas de chat

Une fois une dame, elle était malade je crois. Il y avait du monde. J’ai dit : “Les personnes sans ordonnance, mettez-vous à droite, avec ordonnance à gauche“. Elle est restée sur la file avec ordonnance. La pharmacienne lui a dit : “Sans ordonnance c’est l’autre file d’attente, ici c’est que les ordonnances. Il faut que vous recommenciez à faire la queue“. Elle a commencé à pleurer, crier. Elle était assez âgée, le responsable de la pharmacie est venu, il lui a apporté une chaise : “Asseyez-vous, asseyez-vous, calmez-vous“. Il lui a donné de l’eau. Elle avait aussi peut-être besoin de ses médicaments elle n’était pas bien.

Il y a des gens qui ont bu parfois, qui ne sont pas dans un état ‘normal’, ils entrent et disent : “Je veux quelque chose qui est fort“.

“Mon enfant ne dort pas on a perdu la tétine“

En général, les gens viennent de loin, cela m’a surpris au début. Ils viennent en voiture et se garent en double file, laissant leur clignotant allumé. Ils font 20, 30 kms en voiture : “Mon enfant ne dort pas car on a perdu la tétine“ (sourires) Je vois ça tous les jours. A minuit, à 1 heure du matin. Je n’ai pas d’enfant, je ne sais pas comment cela se passe mais je vois l’effort qu’ils font pour venir, de prendre la voiture.

La plupart des gens qui viennent la nuit, ils habitent la banlieue, Massy Palaiseau, La Garenne Colombes ils font des efforts pour venir.  J’entends le pharmacien qui demande aux clients leur adresse donc je le sais comme ça. Les gens viennent du 94, du 77, 92…

Quand je rentre le soir aussi, je croise de plus en plus de personnes qui dorment dehors : “Je n’ai pas à manger, je ne dors pas la nuit“. Cela fait mal au cœur.

Parfois les gens, ils rentrent dans la pharmacie, sans rien et ils restent. A un moment, je suis obligé de leur dire de partir s’ils n’achètent rien : “Tu ne peux pas rester comme ça, il faut que tu partes“.

C’est plus de la détresse que de l’agressivité

On voit différentes choses à la pharmacie la nuit. Plus que de l’agressivité, je vois plus de la détresse, de l’inquiétude dans le comportement des gens. Je n’ai pas ressenti de peur dans le cadre de mon travail. Chaque fois qu’il y a quelque chose, j’essaie d’avoir la maîtrise. Je vois des gens quand ils arrivent, ils paniquent et quand ils ressortent, ils sont soulagés. Je suis content pour eux.  

Ce que j’ai appris dans ce métier, c’est maîtriser les rayons pour diriger les gens. Garder le calme, écouter les gens. Et les posologies aussi. J’entends le pharmacien dire des choses comme prenez un doliprane 3 fois par jour, sur les médicaments.

Il y a des gens qui entrent et ne te saluent même pas. Moi, ça ne m’énerve pas mais c’est un peu comme s’ils ne nous voyaient pas. D’un autre côté, il y a des personnes qui sont tellement reconnaissantes.

Les pharmaciens qui travaillent ici sont très gentils il y a une bonne ambiance, il y a des étudiants aussi qui sont en stage. L’équipe est assez jeune. J’essaie de parler correctement, doucement aux gens, ils m’appellent par mon prénom : “Ca va Henri ?“ Les pharmaciens là, ce sont des braves personnes, qui travaillent beaucoup et bien, il faut se concentrer pour faire ce qu’ils font.

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