13 ans de psychanalyse, 1, 2 ou 3 séances par semaine


-- - 27/02/2023

J’arrive à Paris. Je vais voir ce psychanalyste, avec la lettre de mon médecin.

J’avais quand même attendu 2-3 mois et puis je me suis dit : « Vas-y, ça vaut peut-être le coup ». (suite de la 1ère partie, à lire ici)

C’était un jeune psychanalyste.

J’arrive avec mon courrier

La 1ère fois, j’étais vraiment un “bébé“. J’avais 19 ans. J’arrive avec mon courrier. J’étais, je l’avoue, un peu dans une démarche de désespoir. Je m’en remettais à ce médecin qui trouverait forcément un miracle pour me « guérir ».

Il me dit : “On va lire la lettre ensemble“, ce qui m’a complètement déstabilisé.

Dans cette lettre, il n’y avait rien. Simplement : « Je vous adresse Arthur xxxx qui aurait besoin d’aide, de psychanalyse, de soins adaptés ». Il y avait 3 lignes (sourires). Mais moi, cette lettre, je l’avais tellement sacralisée que j’étais persuadé qu’elle contenait toutes les solutions pour que j’aille mieux.

C’est là que j’ai pris conscience que je n’étais plus un enfant face à une puissance savante, attendant que l’on me dise quoi faire. Pour aller mieux, je devais devenir un moteur, adulte, dans ce qui allait devenir une expérience capitale dans ma vie.

Au bout d’un an, je m’allonge

Il y a eu plusieurs étapes.

D’abord, une étape d’échanges, durant lesquels j’intellectualisais. Ca, c’est un point de départ. Finalement tu tournes un peu en rond très vite. Ce sont des discussions : “Qu’est ce qui ne va pas ?“ “Parfois je me sens triste“ “Parfois il y a ceci, cela“. Tu fais un peu ta biographie : “Avec ma mère, mes rapports étaient compliqués, avec mon père aussi“, “Il y a eu des décès, des déménagements, des abandons“, etc. Je pense que cela sert surtout au psychanalyste pour se faire, en quelque sorte, un panorama des faits et des événements auxquels tu as été confronté. 

Ensuite, il y a un moment où tu commences à céder. Je me souviens, c’est là que j’ai pleuré pour la 1ère fois devant lui.

Comment c’est arrivé, d’ailleurs ? Je parlais, je parlais, comme ça…. Je parlais… Et je dis : “Je ne dis pas que je suis malheureux“…. Là, Il me répond : “Et pourtant vous l’avez dit“ : “Je suis malheureux“.

Et là, je pleure pendant 5 minutes. Je comprends que je suis malheureux. Parce qu’il m’a renvoyé à ma propre parole. C’est à ce moment que j’accepte de m’allonger, de continuer la psychanalyse allongé. 

Pendant un an, j’étais assis. On était l’un en face de l’autre. On n’était pas encore sur les associations d’idées ou les rêves. On était plus sur les faits, sur des tentatives d’explication qui, à un moment, ne suffisent pas. 

Tu t’allonges, et le psychanalyste est derrière toi et il écoute. Il peut réagir aux informations. Mais en général, il réagit plutôt à… des trous dans la tonalité. Par exemple si tu dis : “Je ne dis pas que… je suis malheureux“.

Après c’est à toi de trouver. Lui, il va juste relever une anomalie dans le phrasé. Freud, c’est ça. C’est la parole. 

Des séances loupées, il y en a eu je ne sais pas combien. J’arrive en avance, j’arrive en retard. Je n’ai pas d’argent. J’oublie l’heure du rdv. Cela fait partie du processus. 

Au début, je faisais 1 séance par semaine, pendant 2 ans. Ensuite, 2 séances par semaine, pendant 4 ans. Puis 3 séances par semaine, pendant 3 ans. Rétrospectivement je pense que ce n’était pas une bonne chose. D’en faire 3, c’était une erreur. C’était une période où j’étais un peu en crise.

Mais bon c’était le chemin… C’était comme un parcours d’apprentissage un peu exigeant comme on le fait à 20 ans, 25 ans. On se plonge dans quelque chose. On y va à fond.

Je travaillais beaucoup, et 3 demi-heures par semaine, séance de psychanalyse. Je traversais Paris, je revenais au bureau. Ca n’a l’air de rien mais le temps d’y aller, de le vivre, de le digérer… C’était prenant, mais choisi.

Le prix dépend de tes moyens

C’est un budget aussi. Les premières années, je ne sortais quasiment pas.

Au début, j’étais étudiant et je devais travailler à côté pour pouvoir payer les séances. Et c’est vrai que, par rapport ça, je ne sortais pas beaucoup. 

J’ai commencé en francs. Je crois que c’était 50 francs la séance. Ce qui fait 10 euros à peu près. J’ai dû faire quelques années en francs et après en euros. Je crois que c’était 80 euros à la fin.

En psychanalyse, comme d’autres disciplines, le prix de la séance dépend de tes moyens.

Je travaillais beaucoup. Je ne sortais pas, ou peu. Je faisais moins de restaus, peu de sorties. Mais cela ne me dérangeait pas. Car j’étais passionné par ça.

Et puis je n’étais pas heureux. Je savais qu’il me manquait quelque chose. Donc finalement, cela me faisait une sorte de quête, qui redonnait du sens à ma vie. Quitte à sacrifier beaucoup. Parce qu’il fallait quand même le payer.

Je pouvais dire les choses comme elles venaient

C’est vraiment quand tu t’allonges que la psychanalyse commence réellement. Je ne me suis pas dit un jour : “ok, maintenant je vais m’allonger“. Tout se fait de manière naturelle.

C’est quand j’ai commencé à lâcher, à pleurer, qu’il m’a dit : “Vous seriez peut-être mieux allongé“. Je me suis mis sur le divan, qui était un beau divan, presque de Freud, un peu 19è siècle. Il s’est assis dans son fauteuil derrière, ce qui fait que je ne le voyais plus. Et ça m’a détendu parce que je pouvais dire les choses comme elles venaient, sans qu’il y ait un regard qui croise le mien.

Là, tu rentres dans une nouvelle étape, qui est très importante. Tu passes de l’explication à l’humanité. C’est-à-dire que là, il y a un être humain qui t’a renvoyé ta parole, qui t’a choqué, qui t’a fait pleurer. Qui t’a fait regarder en face le fait que tu es malheureux et que bien sûr, tu tournais autour et tu ne voulais pas te connaître. Donc là ce n’est pas seulement ta parole qui t’est revenue, c’est la puissance de l’autre.

Le transfert

Parce que, il faut savoir qu’aux yeux du patient, le psychanalyste, il est très puissant.

C’est ainsi que, petit à petit, le transfert se met en place. Et ça, c’est vraiment très important.

Le transfert, c’est prêter des rôles au psychanalyste. D’un coup, il va être plus que ce qu’il est. Beaucoup plus.

Il va être toutes les figures à la fois présentes et absentes. Par exemple quand on dit Dieu, c’est une absence. Les gens qui croient en Dieu, c’est aussi une absence et une présence. Le psychanalyste, il va être un peu dans ce rôle. Il va être la mère que tu avais autrefois, il va être le père que tu avais. Comme tu ne le vois pas, c’est une voix. Et cette voix, elle a beaucoup de puissance. 

Il m’a fallu un an pour lui laisser prendre ces rôles. Cela s’est fait de manière extrêmement subtile. C’est-à-dire que moi, j’avais beaucoup lu sur les transferts. Donc j’attendais le transfert. Je le guettais.

Et je me disais : « Ma psychanalyse, elle ne marchera jamais, il n’y a pas de transfert ». C’est 10 ans après que j’ai compris qu’il y avait eu transfert à chaque fois. Parce que je croyais que c’était quelque chose qu’on pouvait visualiser, formaliser. Non. Et c’est là tout le rôle de l’inconscient.

Les résistances

Tant qu’il n’y a pas transfert, c’est que les résistances sont trop fortes. Elles obligent à intellectualiser. A décrire une situation : “Tiens je ne me sens pas heureux, je vis toujours les mêmes échecs“. Les résistances, empêchent d’aller chercher véritablement là où sont les causes. On n’est que sur les symptômes.

On a l’impression d’avoir avancé mais on ne fait que détailler le symptôme. Sans en avoir trouvé les causes. On est comme bloqué. On ne peut rien faire.

Donc à un moment, le transfert, c’est ce qui sert à cela. On bascule dans un autre lieu. Un lieu où les résistances ne suffisent plus à “museler“ l’inconscient. 

Je suis très cartésien. Mais la psychanalyse m’a appris à laisser parler l’inconscient. Quand l’inconscient parle, il y a toujours quelque chose qui se dénoue. Un truc qui se passe. Tout d’un coup, une peur disparaît, une angoisse s’en va, un blocage prend fin. C’est ça, travailler l’inconscient.

En 13 ans, il y a eu des séances très différentes.

Des séances entières, de silence

Il y a celles où tu n’arrives pas à parler. Des séances entières, de silence pendant 30 minutes, que de silence. Je ne parle pas, il ne parle pas. Cela se termine par « Merci, au revoir ».

Il y a des séances un peu intellectuelles. Où tu essaies de théoriser ce qui t’arrive. Mais tu te rends vite compte que cela n’a aucun intérêt. 

Des séances où tu travailles les rêves. Des rêves que tu as faits dans la semaine par exemple. Ca, ça a beaucoup plus de force transformante.

Il m’est arrivé de raconter un film qui m’avait plu. Il m’est arrivé de réfléchir avant, et de vouloir parler de moi, de mon enfance. Il m’est arrivé de refaire l’histoire de ma famille, sur 3 générations. Il m’est arrivé de raconter une histoire d’amour, ses souffrances.

Pour chaque séance, tu es toujours totalement libre. Jamais jamais jamais, tu ne sais à l’avance comment ça va se passer. Et c’est ce qui m’a plu, cette liberté.

La réalité d’une psychanalyse, c’est que tu as peut-être… Moi j’ai fait 13 ans de psychanalyse. Je pense qu’il y a peut-être… 20 séances qui ont compté. Et qui m’ont transformé. Ce sont celles où tu vas toucher quelque chose d’extrêmement profond.

Parce que depuis l’enfance, on ne cesse de se construire une carapace. On se construit des défenses. Intellectuelles, factuelles, sociales, par rapport à nos peurs d’enfant : l’abandon, la tristesse, etc. Un enfant, vit ses peurs, ses terreurs, ses tristesses, de manière très intense. Sans aucun filtre. On vient le prendre dans ses bras, le rassurer parce qu’il n’y a pas encore de défense pour un enfant qui a peur.

Au fur et à mesure, on se fabrique des structures protectrices, des carapaces, avec plein de couches. Et parfois, comme par magie, il reste un endroit qui, dans le tuilage, qui n’a pas été protégé. Et en psychanalyse, si tu parviens à toucher ça, au détour d’une phrase par exemple, tu plonges. Tu mets le doigt sur cette souffrance d’enfant. Et là, immédiatement, tu ressens exactement cette douleur. Et tu pleures comme un enfant. Mais cela part en 2 secondes. Il suffit de relâcher le doigt. 

Cette détresse, bien qu’inconfortable va te permettre, en te réconciliant avec l’enfant que tu as été, de rendre ta carapace d’adulte plus souple. Et avec une carapace plus souple, on se sent beaucoup mieux.

Un peu comme ouvrir un placard, dans lequel tu as peur de trouver des trucs

C’est un exemple. Mais je veux dire que la psychanalyse, ça peut être douloureux. Plus que douloureux, éprouvant. Parce que tu n’as pas envie d’aller regarder certaines choses.

Chaque fois, c’est un peu comme si tu ouvrais un placard, dans lequel tu as peur de trouver des trucs. Mais une fois que tu l’as ouvert, que tu t’aperçois qu’il n’y a rien de vraiment terrible là-dedans, et que tu le ranges bien, tu es quand même content de l’avoir fait.

C’est propre, c’est clean, structuré. Aéré. Donc ce n’est jamais douloureux, après. C’est de s’engager dedans, qui l’est. C’est douloureux d’y aller, c’est douloureux d’aller toucher à certaines choses, quand tu commences à y toucher. 

J’ai redécouvert toute une série d’événements de ma jeunesse. Il y a un processus mémoriel, dynamique, qui se met en place, qui est permanent, jusqu’à découvrir des faits centraux, des choses dont on comprend assez vite que la seule raison possible pour qu’on les ait oubliées, c’est qu’on a voulu se les cacher. C’est trop évident pour qu’on ait pu les oublier. 

Qu’est-ce qui fait que, à un moment, ces choses ressortent ? Je pense que, cela remonte quand on se sent suffisamment fort pour les regarder. Ou assez soutenu par le psychanalyste. Et probablement, l’idée que ces choses soient supportables, c’est ce qui leur redonne une existence. 

Quand elles refont surface, tu n’as aucun doute sur le fait que tu les as effectivement vécues, Parce que tu le ressens physiquement. Ce n’est pas juste un constat intellectuel.

Aujourd’hui j’ai fait une psychanalyse, qui est complète. On m’aurait dit à 19 ans, que tout cela allait durer 13 ans, je ne l’aurais jamais fait. Mais, à chaque fois que j’y allais, j’y trouvais du sens. C’est un peu comme quand tu décides de monter la Tour Eiffel, par les escaliers. Tu montes un peu, tu regardes, tu trouves ça beau. Tu continues. 

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