Je conduis le métro, et voici ma vie sous Paris


-- - 03/09/2021

Je suis conducteur de métro sur la Ligne 7, à Paris.

Je n’ai pas vraiment de journée type car je peux travailler le matin, la journée ou le soir.

On a 3 types services : le jour, le mixte et la nuit. Le jour, pour nous, c’est ce que vous, vous allez appeler le matin. Le mixte, c’est la journée et la nuit la fin de service, jusqu’au dernier métro.

Je m’appelle Fred, je suis conducteur sur la ligne 7, qui va de Mairie d’Ivry (ou Villejuif) au sud de Paris, à La Courneuve, tout au nord.

Par exemple, quand je suis en service “jour“ j’arrive à 5h à Mairie d’Ivry, une bonne demi-heure avant de conduire le 1er métro (5h30).

Donc à 5h j’arrive, je fais ce qu’on appelle les “dégarages“ : ce sont divers essais (statiques / dynamiques) pour que le train puisse partir avec les voyageurs, en totale sécurité. Chaque matin, on fait aussi des vérifications, ce qu’on appelle ‘les 4 E’ : les extincteurs, l’éclairage, l’état et les échelles pour que les gens puissent être évacués s’il y a quoi que ce soit comme souci. On vérifie tout.

Premiers métros : il y a beaucoup de femmes, qui sont levées très certainement depuis 4h du matin, pour aller nettoyer les bureaux

Le matin, je conduis une population qui est ultra populaire : ceux qui prennent les premiers métros et qui vont aller nettoyer les bureaux. Il y a beaucoup de femmes, qui sont levées très certainement depuis 4h du mat, peut-être même encore avant et qui vont du coup aller dans les beaux quartiers de Paris, qui vont prendre les correspondances en direction de La Défense, pour les quartiers de bureau.

Ce sont des personnes qui ne font pas des métiers faciles mais qui bossent énormément. Tu le vois aux mains. Moi, j’aime les gens, je regarde l’être humain énormément et tu vois les bosseurs que sont ces personnes-là. Courageuses. Elles ont du temps de trajet derrière elles, elles ont du temps de trajet devant elles. Cette population va voyager jusqu’à 7h30, 8h.

A partir de 7h, je vois arriver ce que j’appelle les « costume-cravates ». Ceux qui se lèvent pour aller directement au bureau. Ils vont principalement aller dans les beaux quartiers (Chaussée d’Antin, Opéra), Châtelet pour les correspondances. Et beaucoup aussi au Kremlin-Bicêtre où il y a énormément de bureaux.

7h30-9h30 heure de pointe

Cette population, très dense, elle va occuper le métro jusque 10h-10h30. Chaque ligne de métro a son pic. Pour nous, la branche Villejuif Louis Aragon, on sait que c’est de telle heure à telle heure : c’est l’enfer, quoiqu’il se passe, ton train il sera blindé. Gare de l’Est pareil, et ainsi de suite. Mais grosso modo pour notre heure de pointe on va plutôt partir sur du 7h30 9h30 le matin et sur du 17h30 20h30 le soir. Pendant ces périodes, le métro ne désemplit jamais.

A partir de 10h30, on va transporter beaucoup de touristes, que l’on emmène des terminus jusqu’au secteur centre (de Pont Marie à Chaussée d’Antin La Fayette). Je les reconnais facilement car ils vont avoir les yeux écarquillés, ils vont prendre leur temps, chercher leur chemin…

Entre 12h et 14h, là c’est un grand melting-pot. Tout le monde se croise : les personnes du matin qui rentrent chez elles, les touristes qui vont continuer de se balader, les personnes des bureaux qui vont déjeuner.

Notre période la plus calme, 14h-16h. Là, tu respires, tu transportes les gens mais tu respires. La population, elle est plutôt cool. Ce sont souvent des jeunes, des lycéens, des collégiens, ça va être tranquille. 14h-16h, c’est le must ! (sourires)

La dernière fois, ils sont venus devant ma cabine me donner une canette

En soirée, le soir tard, je vais retrouver la population nocturne, celle des derniers métros. Il y a les cuistots, les plongeurs, surtout au nord de la ligne 7. A 00h30, c’est la fermeture des restaus et ce sont des derniers métros. Ils ont fini leur journée. Ces personnes, je les croise chaque fois le soir. On se lie, je ne vais pas dire d’amitié, mais de contact. On se reconnaît et ainsi de suite. On se salue. La dernière fois, ils sont venus devant ma cabine me donner une canette.

Pour passer le temps, j’aime bien siffler, chantonner dans ma cabine. L’autre fois, les plongeurs sifflotaient aussi, je leur ai dit : “non, vous n’allez pas me faire de concurrence“ (sourires). Ils rigolaient c’est aussi cette ambiance bon enfant que je trouve ultra intéressante. Il faut être sérieux mais sans se prendre au sérieux.

L’une des lignes les plus longues

Il faut savoir que les voyageurs du matin, très tôt et la population de la nuit, ils ont leur emplacement. Toujours au même endroit. Tu ne les verras pas aller ailleurs. Ils sont là, là, et là. Et tu le sais. C’est le côté un peu magique en fait. Tu partages des “trains de vie“ avec eux. Mais tu ne les connais pas. Tu sais à peu près ce qu’ils font, tu ne vis pas avec eux mais en fin de compte tu partages un moment important de leur journée.

Un peu comme des voisins que tu croises tous les jours

C’est le côté intéressant de ce métier, le facteur humain. Le service public. C’est ça qui me plaît. En fait les voyageurs du métro, c’est comme si c’était des voisins que tu croises tous les jours. Ton voisin, tu le croises tous les jours, ça ne veut pas dire que tu vas manger avec lui, que tu vas aller boire l’apéro avec lui. Par contre tu le croises tous les jours, et tu connais peut-être quelques-unes de ses habitudes. Tu sais que tous les jours il va descendre ses poubelles à telle heure ou qu’il va aller chercher ses enfants. Et bien nous, c’est un peu la même chose.

Avec ces gens, on a l’habitude d’avoir des morceaux de vie. On les partage avec eux. Les touristes, ce n’est pas pareil, ce n’est pas que c’est inintéressant mais c’est différent.

Si vous saviez le nombre de SDF qui ont une culture générale de fou. Ils ont une culture incroyable. C’est très intéressant de parler avec eux

Tu vas créer un lien aussi avec les SDF de ta ligne. Ils ne m’appartiennent pas, mais ce sont “nos SDF“, ce sont notre population. Ils sont là. Par exemple, tu as un petit jeune. Quand il est là, j’ouvre la porte de ma cabine, je lui dis :  ‘Ca va ? tu vas bien ? Si tu as besoin de quelque chose, tu n’hésites pas dans 2h je reviens’,  ‘Oh oui je veux bien’, ‘OK’, quand cela se passe comme ça, tu sais qu’après, il n’y aura pas de souci.

Je prends du plaisir à échanger avec eux. Si vous saviez le nombre de SDF qui ont une culture générale de fou. Ils ont une culture, c’est incroyable. C’est très intéressant de parler avec eux. Je n’ai jamais eu de souci avec une seule personne d’un milieu on va dire un peu qui sort de l’ordinaire, marginal parce que j’accepte tout le monde en fait.

Il y a un SDF qui est plus que connu sur la ligne 7, on l’appelle Gangrène. Ce n’est peut-être pas un joli nom, moi je l’appelle Didier. Parce qu’il s’appelle Didier. Quand je l’appelle Didier, il n’y a pas de souci avec lui. Je me mets à sa hauteur, jamais de haut. Mais en même temps je fais des maraudes, du coup le contact avec le SDF ça ne me dérange pas. C’est un être humain, c’est juste qu’il a eu un trajet de vie différent du mien. Et alors ? Ca reste un être humain.

Les SDF dans le métro, ils ont leur zone. Tu ne verras pas un SDF de Château-Landon descendre à Pierre et Marie Curie. Il a sa zone, sa zone ce sera 5 stations. Il n’ira pas au-delà. Ils ont le droit de faire la manche, mais ils ont leurs règles. Si je prends un SDF et Château-Landon, qu’un autre monte à Gare de l’Est : celui de Château-Landon va descendre, car ils ont leurs propres règles. Ce n’est pas quelque chose de dérangeant pour moi.

Finalement, avec qui je vais avoir le plus de souci ? Avec ceux que j’appelle « les intolérants ». L’agressivité, elle est verbale et elle émane presque toujours du même type de personnes : « les intolérants ». Ce sont les costume-cravates, aux heures de pointe, je ressens cette tension. Parce que, comment dire, les gens qui sont stressés dans leur vie, ils deviennent vite agressifs, intolérants.

Un exemple : je dois arrêter mon train car il y a quelqu’un sur les voies, et bien il y a toujours les mêmes personnes qui viennent à la porte de ma cabine : ‘toc toc toc’, ni bonjour ni rien : ‘Pourquoi vous n’avancez pas’ ‘Quand est-ce qu’on repart ?’ ‘Mais vous croyez que je n’ai que ça à faire ?’ On vient et on t’agresse, tu n’en viens pas aux mains mais c’est une agressivité verbale d’office. Teintée de mépris. Il faut garder son calme, ce qui ne veut pas dire que je n’en pense pas moins.

Premiers métros

En plus, dès que le train s’arrête, pour x raisons, je fais des messages au micro, vraiment régulièrement.

Hier il y avait des problèmes sur la ligne, j’ai fait des messages. Et aujourd’hui je suis tombé sur une dame avec son fils, elle me dit : ‘Mais c’était vous hier qui avez fait les messages ?’ (sourires). Oui, c’est normal car déjà quand tu en fais, cela déstresse tout le monde, les voyageurs seront plus tranquilles. Et surtout une minute pour moi, ça dure une minute, mais pour le voyageur qui est juste derrière c’est une heure. Les gens peuvent paniquer.

Le lendemain matin, ils vont se réveiller ils vont partir, très discrètement et très vite. Ceux-là, tu ne connais pas leur vie. Ils aimeraient que personne ne les voit

Un message, le sourire. On a tendance à dire que le sourire au téléphone, ça s’entend. Le sourire au micro de la cabine du métro, c’est aussi important. Même si cela n’empêchera jamais les ‘costume-cravate’ de venir toquer à ma porte.

Moi, ce que j’ai tendance à dire, c’est que je n’ai pas de carapace, pas de bouclier. Donc je prends tout, le bien comme le mal. Je suis une éponge. J’essaie d’être ouvert au monde. C’est ma philosophie. Je ne veux pas avoir une vie morne. Après, c’est ma philosophie de vie.

J’aime la vie, j’aime l’humain, j’aime les gens. Toute raison gardée, il faut sourire aux autres. Je suis persuadé que le monde irait bien mieux si tout le monde pouvait sourire aux autres et s’intéresser à son prochain. S’intéresser aux gens, c’est tellement mieux.

Dans le métro, il y a des gens qui viennent juste pour la nuit. A Palais Royal, par exemple, tu peux voir que à partir de 21h, 22h, il y a un flux de personnes qui vont venir, qui vont nettoyer leur petit coin et qui vont s’installer. Et qui, s’ils ne se font pas éjecter, y restent dormir.

On passe la journée sous la ville en fait. C’est ultra fermé, confiné

Le lendemain matin, ils vont se réveiller ils vont partir, très discrètement et très vite. Peut-être pour aller travailler. Ceux-là, tu ne connais pas leur vie. Ils se mettent en bout de quais, un peu à l’écart. Tu peux pas établir de lien avec eux, c’est impossible. Ils aimeraient que personne ne les voit.

Parfois, tu t’imagines leur propre vie, tu te dis : “tiens qu’est-ce qu’il fait, lui ? Est-ce que toute la journée il va chercher du boulot, est-ce qu’il essaie de gagner un peu sa vie ou est-ce qu’il a un vrai boulot et il n’a pas d’endroit où aller ?“ SDF, ce n’est pas marqué sur votre front.

J’aime conduire le métro car pour moi, il n’y a pas plus cosmopolite. Par exemple la nuit, tu as dans ta rame le jeune fêtard, celui dont tu vois qu’il a a les moyens pour sortir, les belles tenues tout ce que tu veux. Il lance sa soirée et il va croiser une personne qui utilise le métro pour passer le temps.

Quand tu n’as pas d’endroit où aller, pas de but dans ta journée, le métro c’est bien. Il m’arrive souvent de transporter des personnes qui font plusieurs tours, d’un terminus à l’autre, donc pendant plusieurs heures. Je leur dis : ‘Ca va ?’ La personne me répond : ‘ouais ouais’, je leur dis : ‘Est-ce que vous descendez… ?’ ‘Oui, à la prochaine’. Mais ils restent. Et ils ont le droit.

Quand on se croise entre métros, on a nos petits signes : audios, visuels… Bon, on se croise quand même 5 à 6 fois dans la journée donc on ne se fait pas tout le temps coucou.

On passe la journée sous la ville en fait. C’est ultra-fermé, confiné. On a chacun nos habitudes pour vivre cela. Moi, par exemple, la ligne elle est très longue, alors je la découpe en 3 : le secteur sud, le secteur centre et le secteur nord. Je sais qu’au sud c’est plutôt les bureaux, au centre ça va être les touristes et au nord c’est la population plutôt populaire.

Et tu as beaucoup de temps pour réfléchir. Donc tu penses à tout ce que tu as besoin de penser, à la vie… Et toujours garder les yeux grands ouverts.

Le métro, c’est un peu la vie sans filtre. Il n’y a pas de filtre Snapchat, aucun filtre…. Quelque part, le métro, c’est la vie. La vie dans la vie. Et moi je l’aime.

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